Absent des terrains de football durant toute la saison dernière, l’international gabonais Frédéric Bulot Wagha nous livre à travers cet entretien, le calvaire qu’il vit depuis 1 an avec son club de football le stade de Reims (Ligue 2 française).
Bonjour Frédéric Bulot, c’est une première pour notre média d’avoir en entretien un footballeur international gabonais. Merci d’avoir accepté notre invitation. Comment allez-vous ?
C’est avec plaisir que je vous fais part de ma situation aujourd’hui. Je suis quelqu’un de très positif, c’est ce qui fait l’une de mes forces. Donc je peux vous dire que les temps ne sont pas évidents, mais je vais bien.
Votre saison 2016-2017 avec le Stade de Reims a été très compliquée à cause d’une blessure qui vous a éloigné des terrains pendant des mois. Vous avez expliqué dans un média que votre club ne vous a pas soutenu lors de votre rééducation et depuis votre retour de blessure, on vous a refusé l’accès au stade d’entraînement. Pouvez-vous éclairer nos lecteurs sur votre situation ?
Je me suis fait opérer le 28 juillet 2016 à Barcelone, à ma charge. Depuis ce jour, le club m’a totalement tourné le dos à cause d’intérêts financiers. Seul mon pays m’a énormément soutenu pendant cette période sombre. Pour être plus précis, le club a arrêté de me verser mon salaire. Ceci est illégal car les assurances ne prennent le relais qu’après 3 mois consécutifs de blessure.
Un des deux présidents du club a décidé de ce traitement envers moi. Pourtant, j’aimais ce club, les personnes qui y travaillent et vice versa. Mais, une seule personne ayant un statut important peut tout changer.
A mon retour en club le 2 décembre 2016, sous les recommandations de mon chirurgien barcelonais, j’avais pour but de continuer mon entraînement selon le même rythme qu’avant dans l’espoir d’être présent à la CAN 2017 au GABON. Ce qui était précoce mais pas impossible. J’avais les avis de médecins réputés, j’étais donc confiant.
Cependant, le traitement que m’a réservé le club, sous les ordres de cette direction, était une tout autre histoire. Je n’ai pas accès aux soins, je n’ai eu le droit qu’à 20 min de travail par jour et seul; ni de préparateur physique, ni de matériel adéquat. J’étais livré à moi-même sans comprendre cela m’arrivait. Quelques semaines après, malgré le fait que je continuais dans ma bataille pour revenir au plus vite à un bon niveau, j’ai compris que le club était tout simplement prêt à ce que je ne reprenne pas ma carrière car dès la reprise de mon entraînement, ils seraient contraints de me payer.
J’ai ressenti de la tristesse pour ces personnes qui ne voient que l’intérêt financier avant la santé de quelqu’un qui représentait un “exemple” pour beaucoup; tant au sein du groupe, qu’en dehors et sur le terrain. Personne ne laisserait son enfant se faire traiter de cette façon mais pourquoi le faisons-nous aux autres ? C’est ce qui me trottait dans la tête.
Un club de football est censé prendre en charge les frais médicaux des joueurs qu’il emploie ainsi que sa rééducation. Aurait-il été possible que vous portiez plainte contre votre club pour cette non-assistance ?
L’Union Nationale des Footballeurs Professionnels a pris mon dossier en charge et a obtenu gain de cause une première fois en janvier 2017. Mais le club, dans son acharnement, a fait appel de cette décision; puis en juillet 2017, il a une fois de plus perdu.
Ils me sont redevables de plusieurs mois de salaire mais aucune sanction n’a été prise à leur encontre parce que je n’ai pas porté plainte. Ils s’en sortent très bien étant donné que je jouais tout de même quand cela les arrangeait alors que j’étais en arrêt de travail pendant 7 mois.
Comment vous sentez-vous psychologiquement aujourd’hui par rapport au traitement infligé par vos dirigeants. Est-ce que vous leur en voulez ?
Oui, parce que je souffre de cette blessure depuis novembre 2015 suite à un choc en phase de qualification de la CAN. Je souhaitais me faire opérer en décembre 2015 mais mon club ne l’a pas voulu car il était dans leur intérêt que je joue sur une jambe et que j’aide le club à se maintenir en Ligue 1. C’est justement à cette période que le club a commencé à couler de la Ligue 1.
Jusqu’à ce jour, je n’ai perçu de salaire ni du club, ni de l’Etat français; et ce depuis plus d’un an. Le club bloque aussi toutes les indemnités liées au chômage et à la sécurité sociale, sans compter le fait que j’ai d’importantes charges. Je pourrais écrire un livre sur cette histoire qui est aussi large que complexe et choquante à un point que ne je pourrais dire certaines choses qu’à la fin de ma carrière, pour me protéger.
Vous n’avez pas pu jouer durant toute la saison écoulée et votre contrat est arrivé à échéance en juin dernier. Quelle est la suite pour votre carrière ?
Aujourd’hui, je suis toujours en discussion avec des clubs et ce n’est pas évident étant donné que je suis resté un an sans visibilité notamment à cause de ce litige avec le Stade de Reims qui m’a privé de tout.
J’ai pardonné dès le début pour ce qui se passait et ce qui se passe encore. La colère est un poison qui ne peut que te freiner dans ce genre de situation. Je suis convaincu que toutes les bonnes ou mauvaises choses que nous faisons nous reviennent. Le temps ne nous appartient pas.
“Je sais aussi qu’une grosse pression était sur leurs épaules, qu’elle dépasse le sport et touche à la politique”
Vous n’avez pas pu prendre part à la Coupe d’Afrique des Nations qui s’est déroulée au Gabon en Janvier 2017. Comment avez-vous vécu cette période loin de vos coéquipiers et cette occasion manquée de jouer devant vos supporters à domicile?
J’ai suivi cette CAN au Gabon malgré tous ces problèmes autour. Pour être franc, je devais me prendre en charge dans des conditions vraiment extrêmes et malgré le fait que le cœur y était, je n’ai pas pu assister à la totalité des rencontres. Je sais que les joueurs ont donné le maximum pour le pays. Ils n’ont pas mal joué. Là où on a le plus manqué, c’est dans l’efficacité. Les occasions étaient plus que là.
Je sais aussi qu’une grosse pression était sur leurs épaules, qu’elle dépasse le sport et touche à la politique. J’ai donc été affecté par cette élimination précoce à domicile. Mais je reste certain qu’avec l’une des meilleures générations que le pays ait eues, nous pourront un jour faire oublier ces mauvais moments. C’est ce qui fait la beauté de notre sport.
Pour les 3ème et 4ème journées des éliminatoires de la coupe du monde 2018, les panthères du Gabon ont été sèchement battues à Libreville par la Côte d’Ivoire mais ont créé la surprise en battant les éléphants chez eux. Pensez-vous que la qualification pour le mondial est encore possible ?
Lorsque nous avons perdu à la maison, beaucoup ni croyaient plus. Puis, nous avons gagné en Côte d’Ivoire lors du match retour et soudainement le feu a repris. Pourtant, nous ne sommes pas encore qualifiés mais l’espoir nous maintient debout parce que TOUT est possible. Donc oui, nous rêvons TOUS de participer à une coupe du monde, surtout celle-ci en Russie.
Pouvons-nous espérer vous revoir en équipe nationale bientôt ?
J’espère être présent le mois prochain avec les panthères pour notre dernière échéance de qualification au mondial.
Sur un tout autre volet, vous êtes le fondateur de Phil & Tropy, une association ayant pour but de récolter des fonds pour des projets solidaires. Dites-nous en un peu plus sur cette association.
J’ai lancé ce projet quand j’étais encore à Charlton Athletic en Angleterre, dans le seul but d’aider tout en se faisant plaisir. Acheter quelque chose tous les jours pour s’habiller, se nourrir, c’est juste normal. Mais si demain on achetait en étant conscients que chacun de nos achats allait aider des enfants démunis dans le monde, et dans notre pays? Je veux faire porter le changement. C’est ce concept non lucratif que j’ai voulu créer.
Vous pouvez encore plus précisément vous informer sur les réseaux sociaux de l’association (Facebook, Instagram, Twitter) et sur le site www.philandtropy.org
Quels sont les objectifs que vous vous êtes fixés avec Phil & Tropy, notamment au Gabon ?
J’ai mis un peu mes activités de côté depuis ma blessure mais je compte reprendre tranquillement dès que j’aurai cette sécurité mentale après m’être engagé avec un bon club. De là, je m’engagerai plus pour partager des moments avec les enfants et leur offrir des cadeaux pour les fêtes comme je l’avais fait à Noël 2015 par exemple.
Avez-vous un message particulier à faire passer à vos fans ?
Nous traversons des temps difficiles pour tous et le message que je voudrais imprimer sur le cœur de mes frères et sœurs gabonais c’est que toutes grandes choses peuvent prendre du temps. Beaucoup de pertes, d’échecs, de mauvais sentiments mais CROIRE toujours en se donnant les moyens.
Le résultat nous mènera toujours à quelque chose de bon pour chacun d’entre nous. On appelle ça persévérer dans la patience. Mais il est clair que ce n’est pas donné à tous, cela appartient aux “violents”. Je ne parle pas spécifiquement de football, je parle de vie. Cela touche à tout, tant que tout découle de l’amour que l’on met dans chacun de nos sacrifices.
Merci encore d’avoir répondu à nos questions Frédéric Bulot et beaucoup de réussite pour cette nouvelle saison qui démarre.
Merci du soutien de tous !