Maât Seigneur Lion, rappeur emblématique du groupe Movaizhaleine, répond en exclusivité dans les colonnes de Gabon Célébrités aux attentes et interrogations de ses nombreux fans. L’occasion pour cette figure de la chanson engagée gabonaise de revenir sur la sortie de son album ‘’LE NGOZE ’’ et les récents événements politiques et sociaux qui ont secoué notre pays.
GABON CELEBRITES: Bonjour Maât, c’est un plaisir de t’avoir pour partager ton actualité avec nos lecteurs. Tout d’abord, comment se porte le Seigneur Lion ?
Maat Seigneur Lion : Difficile d’oublier les nombreux morts, les disparus. Difficile de ne pas être soucieux de ceux qui sont toujours en prison. Je porte le deuil.
GC: NGOZE, ton album est sorti en octobre. Tes fans attendaient depuis déjà un moment un nouveau projet venant de toi, pourquoi cette longue attente ?
MSL :”Le Ngozé” est sorti le 1er octobre (sur internet via ITUNES, AMAZON …) Il aurait dû sortir plus tôt mais Dieu n’en avait pas décidé ainsi. Dieu est le seul maître du temps et des événements. Je remercie ceux qui ont été patients et ceux qui se sont montrés impatients.
GC: Parle-nous de cet album. De quels thèmes traite-t-il ?
MSL : “Le Ngozé” est mon premier album. Il y est principalement question de résistance. Nous sommes entre autres en lutte contre l’amnésie, une amnésie qui nous aliène et nous divise. “Le Ngozé” aborde l’éducation comme moyen de résistance. Le Ngozé est donc l’occasion de rappeler que la culture englobe les valeurs morales d’un peuple, sa vision du monde, les relations qu’il entretient avec ses ancêtres et ses génies fondateurs. La culture est en fait l’âme d’un peuple et la langue en est le véhicule principal. Un peuple sans langue, un peuple sans culture est un peuple gracieusement offert à toutes sortes de dominations.
GC : Lors de la campagne présidentielle en août dernier, tu es monté au créneau pour fustiger le soutien de certains artistes envers le régime en place, des artistes qui pour la plupart, furent jadis très engagés contre le système. Comment expliques-tu ce changement de leur part ?
MSL :Il y a un contexte de “faim” qui est créé. Un tel contexte a pour effet soit de vous fortifier soit de faire éclore le côté vil et faible en vous. Beaucoup d’artistes soucieux d’exister en tant que tels sont prêts à tout accepter. C’est une raison parmi tant d’autres mais il serait plus intéressant de les questionner directement.
GC: Au cours d’une précédente interview avec Claudy Siar, celui-ci disait qu’ « un artiste doit se ranger du côté du plus faible ». Penses-tu qu’aujourd’hui l’artiste gabonais joue son rôle de sentinelle et de voix du peuple ? Penses-tu qu’un artiste doit à tout prix exprimer ses opinions politiques ou alors a-t-il le choix ne pas s’en mêler ?
MSL : L’art n’est pas obligé d’être engagé. Jouer le rôle de sentinelle et de voix du peuple est un choix que beaucoup ont fait. On a récemment vu beaucoup d’artistes que la circonstance a transformé en militants. Un artiste n’est pas obligé d’exprimer son opinion politique, mais est ce que s’indigner face à l’iniquité c’est faire de la politique? Pour tout esprit bien disposé l’injustice engendre la révolte. Le contexte particulier du Gabon au moment de réaliser cette interview est tel que le silence de certains est considéré comme non-assistance à peuple en danger.
GC: Dans ton coup de gueule, tu as cité Bapon’ga, Ndjassi Ndjass et Johnny B Good, as-tu discuté avec l’un d’entre eux ? Quels sont désormais les rapports que vous entretiendrez dans le futur ?
MSL : En réalité, ce qu’il faut comprendre dans ce que vous appelez mon “coup de gueule” c’est que je viens mettre à nu le fait que la politique exploite l’influence de ces artistes qui sont le cadet de leur préoccupations lorsque nous ne sommes pas en période électorale. Les artistes au Gabon ne vivent pas de leur art mais peuvent espérer manger un tout petit peu s’ils se comportent en groupes d’animation. Cette question est aussi l’occasion pour moi de préciser les choses: je n’ai pas vu Baponga engagé de façon clairement partisane mais je l’ai vu facilement prêter sa précieuse influence en prenant part à ces concerts de campagne strictement enfermé dans son personnage de bussinessman sans penser aux effets pervers. Pour les autres, j’estime qu’il soutiennent l’insoutenable. Ils en sont apparemment fiers mais c’est leur crédibilité qui vole en éclats. Ils ont fait le choix de collaborer, d’appuyer ceux qui oppressent nos familles, leur famille depuis déjà 50 ans. Je suis de toute façon toujours bien disposé et respectueux à l’égard de Franck Baponga mais les autres ont fait le choix d’être du côté des ennemis du peuple, je sais que je suis pour eux de toute façon un ennemi, une cible.
GC: Le milieu culturel et artistique au Gabon est quasi-inexistant, avec tout ce qui s’est passé, penses-tu qu’il s’en relèvera ?
MSL : Vous constaterez avec moi, de toute façon, que ce domaine n’a jamais fait partie des préoccupations du régime, de 1967 à aujourd’hui. Obsédés qu’ils sont de se maintenir au pouvoir, obsédés qu’ils sont d’en jouir à jamais, c’est dans l’armement et le renseignement qu’ils investissent le plus et qu’ils sont le plus investis. Je serais fort étonné de les voir sérieusement s’intéresser au domaine culturel.
GC:Selon la rumeur ,le duo MovaizHaleine aurait été l’objet de menaces de mort. Confirmez-vous cette information ? Comment se passe la vie d’un artiste en exil ?
MSL: Nous avons fait l’objet de menaces, nous et tous ceux qui ont manifesté et continuent de manifester leur opposition à la présidence d’Ali Bongo Ondimba. Certains ont été enlevés, d’autres empoisonnés, d’autres emprisonnés… nous sommes obligés aujourd’hui d’être très prudents.
GC: Penses-tu que le groupe MovaizHaleine pourrait encore se rendre au Gabon dans l’avenir?
MSL : Le groupe Movaizhaleine se rendra au Gabon. Le Gabon c’est chez nous. C’est pour le peuple qu’on est là.
GC: Concernant ton album NGOZE, qu’est-ce qui a été prévu pour sa promotion et où peut-on se le procurer ?
MSL : “Le Ngozé” est disponible à DISCOTYPE MBOLO pour ceux qui sont au Gabon. Il est disponible sur internet via Amazon et Itunes. En ce qui concerne les évènements nous les communiquerons en temps et en heure.
GC : Maât, notre entretien tire à sa fin. Un dernier message pour les jeunes gabonais ?
MSL : NOus sommes condamnés à aller jusqu’au bout de cette lutte que nous avons engagée. C’est une lutte pour continuer d’exister dignement. Elle est nécessaire à la réalisation du plan de Nzambi A Mpungu. Bâtir en Afrique Centrale une nouvelle civilisation à la suite de la civilisation égyptienne. Une civilisation qui sera la lumière qui réhabilitera le monde à l’heure où les ténèbres détourneront complètement les fils de la Terre du droit chemin. Nos morts ne sont pas morts pour rien.
Credits photos : Delita
Artwork :Mack Mudji