C’est dans son long manteau coloré, jean et espadrilles aux pieds que l’influenceuse gabonaise, Scheena Donia, nous retrouve dans le 9ème arrondissement de Paris.
La sortie en juillet 2021 de sa toute première bande dessinée, C’est maman qui commande, partage avec humour et dans une version moderne et authentique des moments de sa vie de maman africaine. En dehors de ce pan de sa vie, qui est Scheena Donia ?
Quel est votre parcours professionnel ?
J’ai fait mes débuts en tant qu’attaché de presse chez l’Oréal puis à New-York. Ensuite, je suis rentrée en Gabon en 2004 où j’ai créé mon agence de communication jusqu’en 2019. Je travaillais pour des marques, des évènements. Avant de quitter le Gabon, j’ai été consultante en charge de la communication de l’élection Miss Gabon en 2012. J’étais en relation avec les sponsors, les annonceurs. Je m’occupais de la promotion de l’événement et de la communication de la Miss après son élection. Dans mon cas, celle de la Miss Marie-Noëlle Ada Meyo.
Ensuite, je suis venue m’installer à Paris où j’ai ouvert mon agence de conseil en communication. Depuis, j’accompagne les personnes qui souhaitent soigner leur image pour booster leur carrière. Aujourd’hui, je fais de la communication personnelle. J’accompagne des salariés, des entrepreneurs, des porteurs de projet, des personnalités. Et les étudiants afro-descendants pour qu’ils se démarquent.
Puis, j’ai fait un virage digital. J’ai également cette casquette d’entrepreneur digital en terme de création de contenus. Je collabore avec des marques telle que les Galeries Lafayette, Tiffany & Co, Disney et bien d’autres.
Et plus récemment, j’ai sorti mon premier livre, une bande dessinée, C’est maman qui commande, en hommage aux mamans africaines. Aujourd’hui, je suis consultante en communication, créatrice de contenus et auteur de bande-dessinée.
Sur les réseaux sociaux, vous êtes très présente. Quelles sont les thématiques qui vous animent ?
Le Made in Africa, l’entreprenariat, l’Afrique et la maternité sont les thématiques que j’aborde. Après, on va me donner une étiquette très mode parce que je promeus beaucoup le Made in Africa à travers la mode. Mais aussi le voyage et la cuisine.
Les marques de cosmétiques ont le plus de budget. Ayant la chance d’avoir un visage et une peau qui le permettent, j’ai des marques qui s’intéressent à moi. Même si ce n’est pas mon sujet de prédilection. Sinon c’est la mode, les cosmétiques les marques qui facilitent la vie d’un entrepreneur. Et puis les voyages. Je collabore beaucoup avec les hôtels en Afrique comme le groupe Accor, Novotel, Pullman, les hôtels Noom. J’ai aussi collaboré avec Royal air Maroc et Air France toujours dans cette optique de promouvoir les destinations africaines. Ces collaborations m’ont permis de beaucoup voyager sur le continent.
Votre virage digital fait aujourd’hui de vous une influenceuse. Quelle place ont les réseaux sociaux dans votre vie?
Aujourd’hui, le digital est le passage obligé de tout le monde. Mon arrivée à Paris m’a poussé à utiliser les réseaux sociaux pour me faire connaître. Tout a commencé par mon blog sur Facebook où je créais des contenus pour montrer mon expertise professionnelle et mon cœur de métier. Deux ans après, j’ai publié une photo de mes enfants pour la première fois. Il y a eu un énorme enthousiasme de la part des abonnés qui découvraient que j’étais maman et que j’avais pas un mais quatre enfants. J’ai compris que l’envers de la vie d’entrepreneur peut être aussi un sujet dont je peux parler. Notamment la vie de maman. En Afrique, on ne se pose pas ces questions. Mais en France, les questions “comment concilier sa vie personnelle et professionnelle? Comment fait-on pour travailler quand on a des enfants ?” sont inhérentes au quotidien des mamans.
C’est en cherchant des clients en ligne que progressivement, on crée une relation avec les gens qui viennent nous lire sur le blog, sur notre page. Puis, on continue à créer du contenu. C’est un véritable métier. C’est de la création de contenu soit pour informer, soit pour divertir, soit pour inspirer et donner un sentiment d’appartenance à une communauté qui partage des valeurs, des centres d’intérêt. Ce contenu peut être du texte, de l’audio, de la vidéo, des photos, des stories. C’est de la création, de l’écriture, de la captation d’images qui va influencer la perception des gens ou pas. Le point de départ, c’est l’information que je veux partager au moment où je publie. Ou l’émotion que je veux partager. Parfois, je vais publier quelque chose parce que je sais que ça va faire rire les gens. Ça va les détendre ou cela va permettre aux gens de culpabiliser moins. La dernière fois par exemple, j’ai fait un post pour raconter mon processus d’écriture. C’est peut-être pour inciter une autre personne à se dire: qu’est-ce que j’attends depuis ce temps pour écrire ce livre ?
Dernièrement votre bande dessinée C’est maman qui commande est sorti. Pourquoi avoir choisi d’écrire cela ?
Je ne voulais pas tellement raconter ma vie de maman. Je voulais écrire un livre que les enfants et les adultes pourraient lire. D’où le format bande dessinée. Un autre format ne s’y serait pas prêté. Les enfants ne sachant pas encore lire peuvent se référer aux images qui leur évoquent quelque chose. D’un, cela permet aux enfants et aux parents de le lire ensemble.
L’autre raison est que je voulais que nos enfants, les enfants afro-descendants, se voient dans les livres qu’ils lisent, qu’ils tiennent dans leur main. Les livres avec lesquels j’ai grandi, je ne me voyais pas dedans. Je lisais les histoires d’autres enfants comme Tom Tom et Nana, Martine, Les six compagnons. Mais leurs vies n’étaient pas la mienne. Il y avait des similarités dans les caractères, les personnalités. Mais par exemple, ils avaient une forme de liberté de répondre, de quitter la maison que nous, nous n’avions pas. C’était un autre monde.
J’aurais aimé lire des histoires des six compagnons qui sont en Angola ou au Kenya dans des aventures. Par exemple, L’aventure Mystérieuse de Patrick Nguema Ndong a si bien marché sur le continent parce que le référentiel culturel était le nôtre. Tous les Africains pouvaient se retrouver dans les histoires qu’il évoquait. C’est ça que je voulais. Que nos enfants se voient, qu’ils voient leurs mamans, leurs tantines dans cette histoire au travers du personnage que je suis dans la bande dessinée. Et puis en dernier, peut-être aussi pour répondre à la fameuse question qui m’est toujours posée : comment tu fais avec quatre enfants ?
Le Gabon est tout ce que je sais et ce que je suis. Le Gabon, c’est tout mon ADN culturel. Je suis Gabonaise dans l’âme. Je viens du 241.
Comment s’est passé le travail d’élaboration de cette bande dessinée ?
L’écriture s’est faite de manière organique. Tout a commencé par un rappel de souvenirs de Facebook qui m’a fait énormément rire. De là, je suis remontée dans mes publications. Il y en avait qui étaient tellement chouettes que je me suis rendue compte que j’avais de la matière pour faire quelque chose. A cela, j’ai complété d’autres choses que je n’avais pas forcément publié. Et avec l’aide des enfants sur des souvenirs qu’ils ont bien aimé qui se sont déroulés en famille. Finalement, j’avais des pages et des pages. J’ai dû faire un tri. Nous n’avons pas utilisé toutes les histoires. On en a gardé pour un tome 2.
Ce sont des moments capturés que je continue de compiler. Mais les enfants commencent à se méfier. Le processus a quand même mis deux ans entre l’écriture et les illustrations avec Marguerite Deneuville.
De ce que vous montrez, on sent votre profond attachement au Gabon, votre pays natal. Quel rapport avez-vous avec le Gabon ?
Le même que j’ai toujours eu. C’est mon pays. C’est celui où je suis née. Celui de ma mère, de ma grand-mère et de ma lignée. C’est ma terre mère. C’est mon cordon ombilical. C’est mon chez moi. C’est l’endroit où je me sens le plus légitime. C’est l’endroit où j’ai été façonnée culturellement. Où mes racines sont. Où mes aïeuls sont enterrés. Le Gabon est tout ce que je sais et ce que je suis. Le Gabon, c’est tout mon ADN culturel. Je suis Gabonaise dans l’âme. Je viens du 241.
J’ai parlé le fang avant de parler le français. Par exemple, la cuisine que je fais à mes enfants, c’est la cuisine du Nord du Gabon, celle de ma grand-mère. En plus, la distance crée aussi l’attachement de manière plus viscérale.
Est-ce qu’on peut dire que votre vécu dans votre pays a impacté la personne que vous êtes ?
Oui complètement. Le Gabon m’a porté et a façonné mon identité. Comme beaucoup, je suis partie après le bac. A ce moment, on sait qui on est. En terme d’identité, on est fixé. Ma vie d’adulte risque de se faire majoritairement à l’étranger. Mais je pense que l’endroit où on est né, où on a grandi, où on est devenu jeune adulte façonne pour toujours la personne qu’on est.
Est-ce qu’on peut dire que la façon d’éduquer vos enfants est en lien avec le Gabon?
Je ne sais pas si c’est le Gabon mais j’aurais dit l’Afrique. La manière dont on élève les enfants chez nous, où l’enfant n’est pas roi, où ce sont les adultes qui commandent est celle que je connais. On te dit, tu fais! Ce sont des modes de fonctionnement qu’on retrouve dans la plupart des pays d’Afrique. Et c’est ça qui est merveilleux. Quand on voyage et qu’on va en Afrique, dans d’autres pays que le nôtre, on se rend compte à quel point on est quand même à la maison. Parce qu’il y a un sentiment de déjà-vu, de déjà-vécu. C’est très flagrant dans l’Afrique centrale.
Pourquoi vous avez choisi de transmettre ce référentiel éducatif lié au Gabon, à l’Afrique à vos enfants ?
Tout simplement parce que c’est l’éducation que j’ai reçu. Et parce que je sais que c’est une éducation qui nous donne un cadre. Qui fait de nous des adultes avec un certain champ des limites, des principes et des valeurs. Ce que j’aime aussi dans cette forme d’éducation, c’est que la maman a une place prépondérante. Et elle n’est pas au second plan. C’est pas des foyers où c’est le boss, le boss. La vieille aussi a sa place. Et il y a cette autorité qui est partagée. Et d’ailleurs, dans la famille où j’ai grandi, c’était plus souvent les mamans qu’on craignait plus que les papas. La vieille, la daronne qui occupait ce trône, fallait pas trop venir la déranger. C’est cette analogie que j’ai fait avec le trône sur la couverture de mon livre.
En fait, c’est un fauteuil Louis XIV. Les Gabonais initiés se souviendront que le président Bongo recevait en audience ses invités au palais dans un fauteuil Louis XIV. Au lieu de tapisseries françaises, j’ai mis un imprimé en raphia du bassin du Congo en référence à l’Afrique centrale d’où je viens. Je voulais aussi montrer que c’est une maman moderne en jean, tee-shirt qui porte des talons. Ce qui est vraiment mon attirail du quotidien. Il y a quand même des clins d’œil quand on parcourt la bande dessinée avec par exemple, un masque fang. Ou dans la cuisine, la bouteille d’arachide, un gombo par ci. L’Afrique est toujours partout. Il y a même des exclamations en fang.
Quelles sont les artistes gabonais que vous écoutez ?
Ceux avec lesquels j’ai grandi. Vickoss Ekondo, Pierre Akendengue, Aziz’Inanga, Franck Ba’Ponga, Minkuss Edingo, Makaya Madingo.
Par les réseaux sociaux, naturellement, les nouveaux et jeunes chanteurs qui ont la côte arrivent à mes oreilles comme Shan’L avec son morceau “Où est le mariage”, Creol ou J-Rio.
De quelle manière restez-vous connecter à l’actualité gabonaise, à la culture gabonaise ?
Depuis deux ans, je me suis désabonnée de pas mal de comptes, pages concernant l’actualité gabonaise. Cela devenait trop anxiogène.
Je reste connectée à la culture gabonaise par les forums de famille et WhatsApp. La musique et la cuisine sont les biais qui me permettent de maintenir ce lien aussi. Ces deux biais entretiennent également le lien que mes enfants peuvent avoir avec le Gabon.
En terme de cuisine par exemple, il y a deux compatriotes qui ont sorti un très beau livre, Gastronomie gabonaise qui fait le tour du pays des recettes de chez nous. J’ai adoré ce livre parce qu’au-delà du partage de recettes, il nous invite à la table d’autres populations du pays.
Par la curiosité et les réseaux sociaux, on s’ouvre au pays différemment.
A lire
La BD “C’est Maman qui commande” de Scheena Donia est à commander ici.