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Alice Atérianus-Owanga, réalisatrice : « Ce film sur Aziz’Inanga, c’est aussi le résultat d’une rencontre avec une femme incroyablement battante »

Alice Atérianus-Owanga, réalisatrice : « Ce film sur Aziz’Inanga, c’est aussi le résultat d’une rencontre avec une femme incroyablement battante »

Un documentaire sur une des plus grandes vedettes que le Gabon ait eu, il en fallait au moins un; et Alice Atérianus-Owanga a su relever le défi. La réalisatrice, son équipe et la famille d’Aziz’Inanga ont réussi à extraire de l’artiste le récit de son parcours, ses aventures à travers l’Afrique et le monde, ses maux aussi. Le documentaire “Aziz’Inanga – Eclipse du clair de lune” saura vous donner envie de redécouvrir cette chanteuse oubliée ou ignorée, notamment des plus jeunes. Entretien avec la réalisatrice.


Alice Atérianus-Owanga, anthropologue et réalisatrice de documentaires, vos travaux sont en majorité axés sur le Gabon. D’où vous vient cette passion pour la culture de notre pays ?

En 2006, alors que j’avais 20 ans et faisais une licence d’anthropologie à Lyon (France), j’ai fait un échange universitaire d’une année, qui m’a amenée à venir au Gabon (un peu par hasard, car Libreville était le seul pays africain à avoir un accord bilatéral de ce genre avec mon université).

Il s’avère que je suis restée à Libreville après cette année, et que je me suis installée au Gabon, qui est devenu mon véritable pays d’accueil et de cœur sous de nombreux aspects. J’ai décidé ensuite de poursuivre la recherche universitaire sur des sujets dont j’étais devenue très proche, ceux des musiques et des danses urbaines du Gabon, rap et hip-hop particulièrement.

Tout en faisant mon parcours de formation anthropologique, je suis restée au Gabon durant 8 ans, où je faisais mes recherches et où j’ai par la suite commencé à faire des documentaires. Bien que j’aie dû partir pour obtenir un poste et exercer mon travail ailleurs, Libreville restera je crois toujours l’endroit où je me sens chez moi quand l’avion atterrit.

 

Après avoir réalisé plusieurs documentaires sur la culture urbaine au Gabon, notamment sur la musique urbaine, quel regard portez-vous sur ce domaine aujourd’hui ?

Beaucoup de modifications sont survenues au Gabon dans les dernières années, depuis 2009 notamment, en lien avec les changements politiques locaux mais aussi avec des dynamiques économiques et des industries culturelles globales qui impactent sur la scène locale. Le rap et les musiques urbaines au Gabon ont été clairement touchés par ces conjonctures, et la scène s’est fortement reconfigurée, avec par exemple une réduction notoire des espaces de performance et des scènes underground.

Parallèlement, de nouveaux genres musicaux et dansés émergent sans cesse, et la créativité musicale s’est énormément déployée, dans le champ du beatmaking par exemple. Cependant, différentes choses semblent ne pas changer, en termes de conditions et de statut d’artiste, de clivage de la scène rap. Je décris davantage tout cela dans mon livre paru en septembre 2017 aux éditions de la MSH : Le rap ça vient d’ici. Musiques, pouvoir et identités dans le Gabon contemporain.

 

J’ai voulu faire un film sur elle pour lutter contre cet oubli, ramener ce passé à la mémoire, et aussi comprendre comment son histoire singulière se mélange avec la grande Histoire du Gabon et de la construction de la nation

En 2009, vous avez été lauréate du concours des Escales Documentaires de Libreville pour le film « Les nouvelles écritures de soi » sur le slam au Gabon. Pour cette nouvelle édition, vous revenez avec un documentaire sur la chanteuse Aziz’Inanga. Comment votre choix s’est-il porté sur cette icône de la musique gabonaise ?

J’ai rencontré Aziz’Inanga en 2011, initialement pour l’interviewer dans le cadre de mes recherches académiques. Anthropologue de profession, j’ai travaillé pendant plusieurs années sur l’histoire des musiques urbaines du Gabon, à collecter des archives et des mémoires de musiciens et d’acteurs des scènes musicales passées. J’avais bien sûr beaucoup entendu parler d’Aziz’Inanga (dans les entretiens et dans les archives de presse), mais il y avait alors un mystère sur ce qu’elle était devenue et sur sa disparition de la scène en 1995.

Aziz’Inanga

Quand je l’ai finalement rencontrée (après avoir beaucoup insisté), j’ai été frappée par le charisme de cette chanteuse, la violence de son histoire, et la manière dont son parcours nous révèle un pan oublié de l’histoire du Gabon, ainsi que les conditions complexes de la condition d’artiste au Gabon. Je m’intéressais beaucoup dans mes recherches à cet effacement d’une partie de l’histoire et de la mémoire du Gabon (archives abandonnées, absence d’accès aux documents…), et à l’oubli qui touche certains grands artistes qui ont œuvré pour la construction de la culture au Gabon. J’ai voulu faire un film sur elle pour lutter contre cet oubli, ramener ce passé à la mémoire, et aussi comprendre comment son histoire singulière se mélange avec la grande Histoire du Gabon et de la construction de la nation.

Ce film sur Aziz’Inanga, c’est aussi le résultat d’une rencontre avec une femme incroyablement battante, dont l’histoire m’a semblé porteuse d’espoir et de résilience.  Enfin, c’est un film sur la musique, les émotions et la force qu’elle procure, un voyage musical et mémoriel auprès d’une grande artiste.

 

Quels sont les défis auxquels vous avez dû faire face dans la réalisation de ce projet ?

J’ai eu la chance d’être accompagnée par un producteur, Sedrygue Soungani, qui a vraiment soutenu ce projet dès le début, et m’a suivie durant plusieurs années en mettant beaucoup de matériel, de compétences et d’éléments techniques à disposition. Parallèlement, Imunga Ivanga, qui m’a soutenue dans mes différents documentaires depuis 2010, était à l’époque directeur de l’IGIS, et, a impliqué l’IGIS comme co-producteur du film. Ces deux coproductions ont été un grand soutien.

Sedrygue Soungani, coproducteur du documentaire ” Aziz’Inanga – Eclipse du clair de lune”

Après comme pour tout film, il y a des tas de défis, qui sont le combat de tout réalisateur : gagner la confiance des concernés, rechercher et collecter des archives (ce qui a été particulièrement complexe, car il y a peu de conservation et d’accès aux archives au Gabon, et a requis beaucoup de temps, d’obstination, de contacts pris dans de nombreux pays), parallèlement il a fallu trouver des moyens complémentaires pour finaliser ce film, et engager son énergie et ses moyens propres ; il a aussi fallu reconfigurer le projet de départ pour suivre les changements qui sont survenus dans la vie d’Aziz’Inanga au fil du film. Du fait de ces différents défis, et étant moi-même souvent contrainte à déménager, la finition de ce film a dû se faire entre différentes étapes et il nous a fallu plusieurs années avant de parvenir à un montage qui nous satisfasse. Mais je pense que ce temps a été profitable à la maturation du projet et du film, et nous sommes d’autant plus contents de le voir aboutir.



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Pour le financement d’une partie de votre œuvre, vous avez organisé une campagne de levée de fonds en ligne qui a été un succès. C’est un mode de financement encore peu exploité au Gabon, pourquoi y avoir eu recours ? Les gabonais y ont-ils participé activement ?

Nous avons dû y avoir recours car bien qu’ayant des producteurs impliqués, qui avaient notamment beaucoup pris en charge le tournage, les moyens financiers manquaient pour la postproduction (montage, mixage son, étalonnage) et nous souhaitions que ce travail soit fait dans de bonnes conditions, par des professionnels, ce qui requiert un minimum de moyens. J’ai décidé de lancer ce financement car c’est un système qui se développe effectivement beaucoup en dehors du Gabon, pour tous types de projets. Au-delà de la dimension économique, l’intérêt des financements participatifs est également de pousser d’autres personnes à prendre connaissance de votre projet, à s’y impliquer, et cela peut parfois être très porteur en fin de film de recevoir des soutiens de cet ordre.

Effectivement, outre de nombreux collègues, amis, membres de ma famille, les Gabonais ont beaucoup participé, surtout les Gabonais de l’étranger, car ces modèles requièrent d’avoir un compte de paiement en ligne du type visa-mastercard.

La diffusion de l’appel à participation (avec une courte bande-annonce) a, à elle seule, ramenée Aziz’Inanga à la mémoire de beaucoup de gens, et elle et sa famille ont reçu après cela des centaines de messages.

 

Le documentaire « Aziz’Inanga – Eclipse du clair de lune » bénéficiera de trois projections à l’Institut français du Gabon. Comment pourra-t-on se le procurer par la suite ?

En DVD d’ici quelques mois.

Le documentaire « Aziz’Inanga – Eclipse du clair de lune » est diffusé à l’Institut français du Gabon dans le cadre des Escales Documentaires de Libreville 2017. Entrée gratuite.

  • Mercredi 22 novembre à 16h15
  • Samedi 25 novembre à 17h30

 

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