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Winnele Veyret : “Il est temps de nourrir l’Afrique d’histoires nouvelles qui se conjuguent en punu, en fang, en myènè, en téké”

Winnele Veyret : “Il est temps de nourrir l’Afrique d’histoires nouvelles qui se conjuguent en punu, en fang, en myènè, en téké”

Découverte à l’occasion de sa sélection officielle lors du dernier FESPACO, Winnele Veyret incarne une nouvelle génération de cinéastes gabonais. Dès sa première œuvre, la jeune réalisatrice se fait remarquer et séduit les festivals les plus importants. Avec “Yamb”, c’est une entrée en matière efficace que nous propose la cinéaste. Un nouveau regard sur les expériences de ces enfants de la diaspora qui vivent loin du continent mais qui ne s’en détachent jamais vraiment. Entretien.




 

Votre film a été sélectionné lors de la dernière édition du FESPACO. Pour l’occasion, vous vous étiez rendue au Burkina Faso. Quelle a été votre expérience de ce grand rendez-vous du cinéma africain ? 

 

Le FESPACO fut la première étape de mon voyage identitaire et spirituel. Je l’ai vécu comme le point de départ de cette marche que je compte mener vers une plus grande connaissance de mes racines africaines. Je pense que le FESPACO a été le symbole d’une rencontre; celle entre mon rêve de renouer avec un passé africain lointain et le réel d’une Afrique multiple et morcelée en proie à des défis sociaux, politiques, économiques et environnementaux considérables. En d’autres termes, le FESPACO a été la première concrétisation de l’idée théorique du “retour inévitable et/ou souhaitable” que je tente d’aborder dans Yamb. Je parle du retour de tous les déracinés; ceux qui se sentent profondément concernés par l’Afrique et les richesses de cette terre. Ceux qui veulent et sont prêts à servir la lutte des peuples africains pour qu’enfin nous puissions paraître au monde sur un même pied d’égalité.

Ce premier Fespaco eut évidemment un goût amer. J’ai été déçue de ne pas avoir remporté le Poulain d’Or que j’étais aller chercher avec tant de détermination. Mais cette amertume fut rapidement balayée par la grandeur de cette institution, la beauté des films, de la ville de Ouagadougou et de ses habitants ! Une amertume rapidement dissipée aussi par ces “bonjour, ma soeur, comment tu vas ?” que l’on a pu m’adresser si souvent à chaque rencontre fortuite. Une chaleur humaine à laquelle je n’étais pas habituée.

 Le FESPACO a été, in fine, une grande victoire par les rencontres inoubliables et les encouragements des professionnels du cinéma présents qui ont, semble t-il, profondément été touchés par mon film. Une victoire et une chance aussi d’avoir découvert mes grandes sœurs et grands frères réalisateurs, producteurs et comédiens gabonais et d’ailleurs en Afrique qui m’ont réservé un accueil plus que chaleureux !

 

Yamb est votre premier court-métrage. Était-il important pour vous que votre première œuvre soit liée au Gabon ? 

 

Oui, très important et je dirais même, inévitable ! J’ai commencé à penser à cette histoire alors que j’avais 19 ans et que j’entamais tout juste mes études supérieures.
A cette époque, je sortais d’une période difficile de ma vie sur le plan psychologique. Un an plus tôt, j’avais été hospitalisée en psychiatrie pour cause de dépression. Cette période à réveiller en moi un fort désir de renouer avec mes racines. Alors j’ai observé mon entourage, en particulier ma mère. Une femme de 50 ans qui a fait le choix de partir. Partir dans l’espoir de toucher du doigt le rêve de la France comme eldorado qui a bercé son enfance. Mais après 20 ans d’immigration “réussie” , un salaire d’aide soignante dans une petite ville tranquille du sud-ouest de la France, elle apprend le décès de sa mère, Angèle, en 2013.
Ce jour a été pour moi un déchirement. J’étais bien plus effondrée que ne l’était ma mère alors que je n’avais connu ma grand-mère que très peu. J’étais troublée par l’attitude de ma mère qui laissait apparaître un calme inattendu face à cette nouvelle, comme s’il avait s’agit d’une quelconque nouvelle. C’est là que Yamb s’est réellement formé dans mon esprit.
Le lien au Gabon et à l’Afrique en général était devenu inévitable.

 

Yamb c’est, entre autres, le récit de l’éloignement, celui de ceux qui partent. Pourquoi avoir choisi de montrer ce côté de la diaspora ?

 

Car c’est justement celui qui est trop souvent tu et pourtant si important, si déterminant dans les trajectoires existentielles de nombreuses femmes et hommes immigrés.
Cet aspect invisible de l’immigration pose des questions idéologiques profondes d’abord aux diasporas mais également aux jeunes Africains et Africaines qui rêvent d’un ailleurs meilleur.  J’avais envie de mettre au jour les revers d’une certaine immigration.
J’avais envie de porter l’immigration sur le terrain du bilan. Car au final, lorsqu’on a eu la chance de “réussir” dans un pays qui nous est étranger et parfois hostile, est-ce que la satisfaction financière, le confort matériel suffit à être heureux ? C’est, in fine, un questionnement qui, plus largement, remet en cause le rêve de l’Europe comme eldorado et pousse, je crois, à repenser notre rapport à l’Afrique, notre rapport à nos origines si souvent rejetées et méprisées. Je me demande si toute cette énergie, tous ces sacrifices que nos mères, nos pères partis pour une vie meilleure ne pourraient pas servir aussi à construire une vie plus agréable là-bas où nos racines se meurent sans que nous n’ayons eu le temps de leur dire notre amour.

 

 

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Diane, le personnage principal, reçoit un coup de fil qui va la bouleverser. Un coup de fil que de nombreux étrangers redoutent. Y-a-t-il une part autobiographique dans ce choix de scénario ? 

 

Complètement, comme je l’ai dit plus haut, cette histoire a réellement eu lieu en 2013, lorsque ma mère a reçu un appel de sa sœur lui annonçant la mort de sa mère.

 

Après sa carrière en festival, le film est enfin accessible au grand public aujourd’hui grâce à TV5MONDE. Que souhaitez-vous que le public, notamment Gabonais, retienne de votre œuvre ? 

 

D’abord, je suis extrêmement ravie de la vie en festival de Yamb. Malgré le contexte du Covid qui a évidemment un peu faussé le jeu, je suis heureuse que ce film ait pu voyager dans autant de pays et en particulier en Afrique. Je ne pouvais rêver mieux pour un premier film, que j’ai eu la chance de réaliser du haut de mes 24 ans à l’époque, qu’il soit aussi bien accueilli malgré ses failles. Je suis extrêmement reconnaissante et travaille d’ores et déjà à la suite.

Ce que j’aimerais que le public retienne de ce premier film, c’est avant tout que, de mon point de vue de jeune femme issue de la diaspora qui a été arrachée de son pays très jeune (7 ans) et qui dès lors a vécu de près l’acculturation et le sentiment de ne pas toujours faire corps, aujourd’hui, il est temps de changer de rêve.
Il est temps de nourrir tous les enfants de ce beau continent qu’est l’Afrique, d’histoires nouvelles, d’histoires où nos rêves se vivent en noir et se conjuguent en punu, en fang, en myènè, en téké… Il est temps de faire de nos existences des sacrifices qui en valent vraiment la peine. Il est temps de prendre notre destin en main pour qu’enfin, ce soit eux, hommes et femmes d’Occident qui se ruent vers les ports en rêvant de nos corps et nos terres purifiantes.

 


Le court-métrage Yamb de Winnele Veyret (26′) est disponible gratuitement sur l’application TV5MONDE Plus.



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